Les défis de l’intelligence artificielle
Comme l’avènement d’Internet il y a 30 ans, l’intelligence artificielle fascine autant qu’elle effraie. Bonne ou mauvaise, telle n’est déjà plus la question. Il faudra en revanche apprendre à vivre avec pour aussi savoir s’en distancer.
Depuis le lancement de ChatGPT en novembre dernier, l’intelligence artificielle (IA) est devenue une réalité nettement plus tangible. Pour preuve, ce nouveau chatbot lancé par la société OpenAI a atteint les 100 millions d’utilisateurs en l’espace de deux mois, un seuil franchi par Instagram en deux ans et demi. C’est dire le potentiel de ces nouveaux « services » développés par tous les géants du Net. Des services qui fascinent, comme nous avons pu l’être avec Internet il y a une trentaine d’années. Mais des services qui interpellent également au vu des cas de manipulation d’images, de musiques et d’informations qui se multiplient.
La question d’une nouvelle régulation susceptible d’encadrer l’intelligence artificielle ne semble dès lors plus se poser. Le fondateur d’OpenAI Sam Altman en est lui-même convaincu, sous l’autorité d’une nouvelle agence fédérale américaine à créer. L’Union européenne, de son côté, a déjà pris les devants, bien décidée à mettre sous toit son AI Act d’ici fin 2023, la première législation d’envergure à voir le jour dans ce domaine. S’il faut évidemment saluer ce type d’initiatives, on peut toutefois douter de leur impact réel, en sachant notamment que les Etats-Unis n’imposeront certainement pas une régulation susceptible d’entraver l’essor de leurs propres entreprises engagées dans la conquête de ce formidable marché.
Jacques Matthey, Directeur des rédactions du groupe ESH Médias Après une première partie de carrière dans le sponsoring et la communication, Jacques Matthey est entré dans le monde de la presse en 1998, alors que les quotidiens neuchâtelois L’Impartial et L’Express s’apprêtaient à fusionner leurs sociétés éditrices. La direction générale de la Société Neuchâteloise de Presse lui sera confiée en 2008 et il en pilotera la transformation, les développements digitaux, le renouvellement des offres éditoriales et publicitaires, ainsi que l’évolution majeure des titres historiques vers un média neuchâtelois unifié : Arcinfo. Depuis 2019 il est également directeur des rédactions du groupe ESH Médias (Le Nouvelliste, ArcInfo et La Côte). |
Un tableau opaque
A notre échelle, l’AI pose une nouvelle fois la question des droits d’auteur, comme c’est déjà le cas avec les contenus d’information indexés sur des sites qui ne s’acquittent d’aucune redevance. Si nous nous attachons aujourd’hui à numériser nos contenus historiques et à les rendre disponibles sur Internet en libre accès, cela ne signifie pas qu’ils sont libres de droit pour autant. Pas plus qu’ils ne le sont en parlant d’intelligence artificielle. Ce qui est d’autant plus paradoxal, dans la mesure où la qualité d’un chatbot dépend certes de celle de son moteur d’autocomplétion chargé de former des puzzles d’information cohérents mais aussi, bien sûr, de la valeur des contenus sur lesquels il s’appuie.
De notre côté, nous efforçons donc de publier et d’éditer des articles originaux, basés sur un travail rigoureux d’information qui, toute proportion gardée, servent à alimenter ces intelligences numériques dont les fondateurs ne se soucient guère de la propriété intellectuelle liée à ces « fonds de commerce ». Si la question des droits d’auteur est déjà source de discussions en parlant d’indexation, autant dire que l’essor de l’AI la rend encore plus complexe.
En tant que société de médias d’information, une autre problématique soulevée par l’intelligence artificielle nous concerne au premier chef. Une problématique qui tient à la confiance des lecteurs quant à l’origine et l’authenticité des contenus que nous publions. Déjà que les réseaux sociaux, un univers où l’intox règne en maître, ont largement brouillé les cartes en matière d’information, avec l’AI, on passe au degré supérieur. Non seulement, « l’intelligence » est capable d’écrire tout et son contraire sur demande mais elle le fait avec suffisamment de « talent » pour que sa production ait des accents de vérité. D’autant que la prose d’origine « artificielle » ne se distingue guère en première lecture de celle d’un professionnel. En d’autres termes, s’il était déjà difficile de distinguer le vrai du faux dans l’avalanche de nouvelles qui nous submerge, il devient également complexe de déterminer la « nature » de leurs auteurs. Un homme, une machine « intelligemment » pilotée ? Si, d’aventure, les lecteurs devaient se poser cette simple question, c’est que le ver est dans la pomme. Les internautes ne font-ils pas confiance à des moteurs de recherche surtout capables de leur proposer des liens prioritaires sponsorisés ? Sans parler des algorithmes à la base des réseaux sociaux qui encouragent la manipulation ? Avec l’intelligence artificielle, le tableau s’opacifie.
Contrat de confiance
A contrario, pour les acteurs du marché qui ont une « marque » clairement identifiée, cette évolution ouvre de formidables opportunités consistant à faire connaître leur charte éthique et leurs responsabilités en matière de contenu. Il est ici question de distinguer ces médias d’actualité, dont la démarche journalistique consiste en une recherche inlassable de la vérité et dont le travail repose sur une démarche honnête d’enquête et de récolte d’informations effectuée dans l’optique du bien commun. Il ne s’agit évidemment pas de condamner en bloc l’intelligence artificielle dont les services en matière de documentation, de correction, voire de production de texte à très faible valeur ajoutée ont déjà fait leurs preuves dans certaines rédactions. On ne saurait toutefois trop insister en disant que l’AI offre en l’occurrence une assistance bienvenue à des personnes qui, elles, ont une réalité tangible sur terrain de l’information. Des personnes avec lesquels on peut établir un contrat de confiance et qui sont précisément chargées de démontrer la supériorité de l’homme sur la machine dans ce travail indispensable d’une information juste, vérifiée et transparente.
S’il faut tirer un parallèle avec un domaine qui nous est cher, à savoir celui de l’alimentation, ne serait-il pas judicieux de se soucier de la qualité et de la provenance de l’information comme nous nous soucions de la qualité et de la provenance des aliments qui garnissent nos assiettes. En ce qui concerne nos assiettes, le label AOC (Appellation d’origine contrôlée) a précisément été créé pour identifier les produits dont les étapes de fabrication sont réalisées dans une même zone géographique et selon un savoir-faire reconnu. Si la première condition n’est certes pas pertinente dans l’univers des médias, la seconde l’est assurément. S’il s’agit de publier des articles où l’information est d’origine humaine, dument vérifiée et certifiée comme telle, pourquoi ne pas le « baliser ». Dans ce contexte, le support d’une intelligence artificielle sera peut-être bien indispensable dans un proche avenir mais gardons-nous bien de jamais lui confier le rôle principal !
Par Jacques Matthey
OpenSource est un programme de diffusion de contenus institutionnels du groupe ESH Médias. Celui-ci a pour but de donner la parole, de manière récurrente, à des acteurs internes clés spécialistes dans les domaines d’expertise du groupe. |
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